lundi 1 janvier 2007


Suite de http://poemesatoi.blogspot.com

Chansons douces
pour s'endormir le soir


Une chanson si douce, et après rien.
De bruit et de fureur, mon amour,
De la fureur suave et mignarde…
Empanachés, roulant leur ventre ceint,
Les beaux-frères ! Encore et toujours.
La république des dodus, des gaillards,
Dans leur tourelle somnolents ...


Et des femelles tortillantes, le chœur,
Ames vaillantes, hardi les sœurs
La vie est là simple et tranquille.

Et mon père que je n’ai pas soigné,
Et ma mère que j’ai tuée,
Et les autres qui savent faire,

Et encore les beaux-frères
Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Le temps d’un soupir et je m’en vais ;
Pourquoi faut-il que ce soit toi
Qui me désespère et m’annule...

Le temps d’un geste, d’une virgule
Et le néant m’absorbe à toute joie.
L’amour s’en va, l’amour s’en va,
Si l’on peut dire.


Il en faut peu et c’est beaucoup.
Et volte et vire…
L’amour ? Non, mais nous nous en allons
Et tôt serons étendus sous la dalle…

D’une étoile ou croix -ou lierre- en édredon.
J’ai aimé Che Gevarra, et je retrouve, côté pile,
Un beau-frère, qui tremble devant la vie,

Devant moi qui vibre et qui me plie de toile vile,
Qui m’aime pourtant et que j’aime aussi,
Pour s’en laver, et s’en nourrir, et la vomir.
...........................................................................................

Ode à un infant déchu

Ce soir, j'ai de la peine.
La vie ? Non, mais ceux qui aiment,
Parfois, séparent les amants ...
Petit à petit, tout doucement ...

Au fil du temps, un choeur de haine,
Reprend son Chant ...
De si loin, honnie,
Mais si profond enracinée,

La tendre, la susurrante Mélopée...
En toi hurle, sans bruit ...
La venimeuse berceuse
Si souvent murmurée,

La petite chanson
Endormeuse,
Que, dans ta prison,
On te chantait ...

Pour toujours ; ennemis fidèles,
Toi le Juif, moi la Paria,
La goïm, et cétéra,
Tu hurles avec elle.

Usurpatrice, accapareuse ...
Mon amour, en choeur :
Castratrice, dispendieuse,
Vade retro, frêle bonheur ...

Souillon et sauvage,
Folle et charmeuse,
Etendant ses ravages,

La gueuse,
Volage et amère,
Partout : mauvaise mère...
Bien plus fort
Que la mort,

Toujours,
La haine.
Le soleil noir...
O mon amour,

Ce soir,
J'ai de la peine ...
Hélène
.......................................................................................................

Deux heures du matin

Avec toi, c’est simple.
Si je t’aime, tu ne m’aimes pas,
C’est très simple.
Car si je ne t’aime pas, tu m’aimes.

Tu ne dois pas aimer qu’on t’aime,
Sans doute.
Si je suis triste, tu me dis voyons…
Puis le silence… Le silence, toujours.

Comment as-tu trouvé mon livre ?
Le silence, encore.
Comment ? Silence, toujours.

Attends, je réfléchis.
Ne me bouscule pas...
Mais non, je ne dors pas.
C’est juste parce que…

Je ne sais pas quoi te dire.

Tu vois. Vraiment.
Il ne faut pas être hypocrite.
C’est donc si mauvais ?
Le silence… Vraiment ?

Silence encore…
Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit,
N’est-ce pas, comme tu as l’habitude.

Mais tu n’as rien dit.
Justement Je n’ai rien dit.
Alors ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit,

Alors ? Alors quoi ? Ah, ton livre… Silence.
Bon… Mais il n’est pas fini.


Comment juger ?
Si. Il est fini ? Ah bon ? Mais enfin,
Pas tout à fait ? Si. Ah, je n’aurais pas cru.
Remarque, je ne suis pas un spécialiste.
Alors, forcément.

C’est pour tous ? Je n’avais pas compris.
Je ne dois pas être assez intelligent.
Mais c’est trrrès bien tout de même.

Je te répète de ne pas interpréter.
Tu as toujours tendance à déformer,
… Tu as l’air bizarre.
Encore ta paranoïa, comme d’habitude.

Tu as le chic pour faire des drames
Dans un verre d’eau. Tu me fatigues.

...............................................................................................

Dilemme

Je suis bien embêté. Je vais venir pour Noël,
Et pour le jour de l’an j’irai à Rome avec Catherine.
Je ne veux pas être hypocrite.
Te cacher quoique ce soit.

Ce n’est pas que ça m’enchante, crois moi,
C’est même assez difficile à vivre pour moi,
Mais que veux-tu, c’est comme ça…
Je vis à Paris et toi là bas…

Et tu m’as quitté, et il y a Catherine…
Et elle a pris les billets, et réservé l’hôtel.
Si tu savais ce que ça me culpabilise,
Pour elle comme pour toi, ma belle.

Mais je ne peux plus décommander…
Ne crois pas que c’est de gaîté de coeur,
Mais que faire ? Je ne l’aime pas.
Mais je lui dois bien ça…

Et je ne vais pas te mentir tout de même.
… Tu voudrais que je te mente ?
Que je te dise : je repars
Parce que j’ai un travail urgent ?

Non, tout de même.
Nous sommes au dessus de cela.
N’est-ce pas ?
Muflerie ? Mais d’où sors-tu cela ?

Mufle, moi ?
Je te croyais plus intelligente,
Bon, soit…
En ce cas, excuse-moi.

Mais puisque je t'ai dit que je m'excuse !
Tu ne vas pas en faire un drame!
Je ne voulais pas te blesser.
Ce n’est pas simple avec toi.

On ne sait pas comment agir.
Ta paranoïa me fatigue.
Il y a des choses qu’on ne dit pas ?
Ah bon. C’est pas de l’hypocrisie, ça ?

Entre nous, tout a toujours été normal.
Ce n’est pas maintenant
Que l’on va commencer à se mentir.
Il y a une différence entre mentir et provoquer ?

Ma foi, si tu veux. Mais cela me semble bien compliqué.
Eh bien soit. Je vais venir à Noël. Voilà. Je ne dis rien.
Attends que je regarde... le 24 au soir.
Tu ne veux pas ? Ca alors. Et moi qui me faisais une joie.

Qu'est-ce que tu es étrange. Tu me rejettes ?
Après tu diras que c’est moi qui t’ai quitté.
Oh et puis j’en ai assez de tes colères.
A la fin, de subir tes insultes. Salut.

Jamais tu ne viens à Paris, toi.
Et encore ne veux-tu pas.
Que moi je vienne ici. Soit.

Je ne viendrai pas. Puisque tu ne veux pas.
Mais ne va pas dire ensuite
Que c’est moi qui n’ai pas voulu venir.
............................................................................................

A Robert

Comme la grêle déchire la feuille,
Et de la pulpe éclate la chair,
Le désir, sur le seuil,
Flamboyant, élancé, lacère,
Dans la vigne saccagée,
Les pampres transparents.

Et libère,
Au vent d’autant,
La graine solitaire.
Et avec lui, le sortilège,
Le bruit et la fureur.

Malédiction et privilège,
Accalmie et douleur.
Feu et neige.
Fulgurant mirage d’une si sombre nuit...

Miasmes fragrants d’un profond hypogée,
Ombre de lumière, temps repu et ravi,
En dix jours envolé.
Joie pure et exténuée.

Sans toi, je m’anéantis. Mais pourtant.
La vie que tu me prends,
Légèrement, par copeaux,
Et que, déchirant la jugulaire,

Moi aussi je t’arrache par lambeaux,
Mais que je t’offre en même temps,
Encore et encore,

C’est aussi, éternelle et éphémère,
La mort.
Mais, sans toi,
De l’étoile vive, éblouissante,

Superbe, qui enchante,
Je ne veux pas.
Demain, peut-être, mon amour,
Te haïrais-je à jamais
De t’avoir écrit toujours.
Et crierais-je à la liberté...

Comme un chien à la lune endormie.
Source brillante qui étanche
Et gèle, et, sous la glace, frémit,
Qui désaltère et accable, eau blanche...


Du triangle maudit,
Gouffre aérien, sublime et lumineux,
Qui aspire, respire et anesthésie,
Nuit d’amour, nuit bleue...


Demain peut-être, demain,
De plaisir engloutie,
Demain ou tout à l’heure,
Demain...


Je m’arracherai les yeux,
Ou le cœur,
Pour être libre enfin.
Invisible comme le son
Et réelle comme la lumière,
L’éclat de mon nom.

...............................................................................................

A un mari qui est parti

Encore un poème, puisque me voilà parolière,
Déclarée SACEM et tout le bazar,
Ca me va tout à fait. Ecrivaine, ça fait vulgaire,
Ou prétentieux. Prof, ça fait ringard...


Mais parolière, alors ça, c’est le pied.
Et toi qui es seul à Paris —enfin seul, qui sait ?—
Et moi qui rame ici et t’attends,
Plus ou moins. Car ça ne saurait durer…

On a vécu plus de vingt ans en se disant,
Qu’on allait se quitter ; incessamment.
Puis on s’est quittés en se disant,
Qu’on allait recommencer à tout moment.

Seulement voilà. Ca ne peut pas durer,
Cette fois, plus de vingt ans,
Car on ne les a peut-être pas, tu sais.
Alors il faut se décider.
On ne peut vivre éternellement,


Dans un avenir dont on ne sait,
S’il va venir. Incessamment.
Ou jamais.
Vivre pour après, toujours.

Même en étant un petit Asperger,
Et moi un autre par ricochet…
Ca fera une chanson, mon amour.
La lune et le soleil qui courent...

Tu as voulu fuir. Ton pays, ta caste, ta mère,
Le Liban ensoleillé de joie et de fureur,
Jeune juif pétri de scrupules, de terreurs...

J’étais là. Puis ils sont venus, les beaux-frères.
O ce n’était pas leur faute. On leur a appris :
Les mariages convenables, l’argent à gagner,
Comme il faut être. Je n’ai pas su ferrailler.


Mais ils étaient trop nombreux, aussi,
Tu sais. Passe le temps, passe la lice…
Je ne suis pas David mais Bérénice.
Et pour toi, j’avais trop de passion.

Je me suis fissurée, anéantie,
Le navire embarquant l’eau, par le fond,
Doucement a sombré…
Et mourir pour mourir, j’ai voulu t’emporter...


Avec moi dans le gouffre de l’enfer.
La rose avec l’épée,
Par une si sombre nuit d’hiver,
Je me suis sabordée.

Malentendu, réciproque, douleur infinie,
Tu n’avais pas compris,
Et moi non plus, je n’ai pas vu en toi,
Ce qui était différent, mon amour.

Ou n’ai pas voulu, plutôt, je crois,
Même si depuis toujours,
Je le savais, évidemment,
Et cela me plaisait,
Me rassurait.

Un coupable est toujours rassurant,
Et une victime, innocente, évidemment...
Les beaux-frères te faisaient banal,
Du coup plus de pitié : normal.

Depuis ce soir d’hiver où je t’ai pris ton lit.
Et où parait-il, en dormant, je souriais.
La vie s’arrêtait. L’angoisse aussi.

Tu étais là, il ne pouvait plus rien arriver.
Le bout de la route, le repos du guerrier,
Mais là sans y être,
Petit Asperger.

Je vais dormir. Tu ne viendras sans doute pas.
Bon, tant pis. Il faut être digne et forte.
Tenir bon, la tête hors de l’eau, voilà.

Ce sera comme avec ma mère, encore une fois,
Un rendez-vous manqué. Qu’importe.
La haine est partie,
Dommage, ça aurait pu recommencer.

Pour un tour, un tour de vie.
Qui sait ?
Moi j’étais en manque de folie, de ferveur,
J’avais besoin d’être l’unique, la femme éternelle

Même d’un conte. Toutes ces sottises habituelles,
Ces archétypes qui nous fascinent, le chœur
D’Eschyle et de la tragédie solennelle...

En somme l’inverse de toi, de ta discrétion
Elégante et futile, de la passion…
Tout cet amour dont tu t’étais fatigué,
—Car tu te fatigues vite, toujours—

Et je suis épuisante peut-être, qui sait ?
A un autre, je l’ai donné,
—Ou plus exactement reçu.— Et à mon tour,
Qui l’eût cru ? Jour après jour,

Je me suis fatiguée.
Parce que c’était toi que j’aimais
En vain, depuis trente ans. L’éternité.
Raccrocherons-nous les bouts d’être éclatés ?

Je t’ai écrit dix Pléiades —environ—
Je pense. Et tu n’as jamais répondu, jamais…
Asperger ? Soit, mais ce n’est pas une raison
Tout de même, c’est déchirant, et encore pis.

Pas même de courriels, rien. J’ai l’air de mendier,
Une phrase, un bout de ligne, un récépissé...
Un accusé de réception, un illettré m’aurait écrit,
Erdal l’a fait dix fois, mot à mot, et en français.

Une page ou deux sans syntaxe, une journée.
A tirer la langue en pleurant, appliqué.
Comment peut-on supporter sans neurasthénie ?
Je t’aime pourtant : joyeux Noël, bonne année,

Joyeuses Pâques et, puisque j’y suis, douce épiphanie,
Et Roche Hanna aussi, et la Toussaint, j’oubliais…
Je t’aime.
Hélène.
..............…………………………………………………………………..

Catharsis ...

Je veux donner et ne le veux pas
Je veux peindre et ne veux pas que l’on voie
Je veux exprimer et ne le sais pas
Pudeur, crainte de ma maladresse...

Du regard des autres, de leur jugement ..
Pour qui te prends-tu, pour oser ?
Prendre un stylo? Courir après les autres ?
Quêter leur regard, mendier ...

Non : écrire, c’est facile...
Mais un pinceau,
Fut-il un pinceau de peintre en bâtiment ...
Usé à la corde...

Et des restes de couleur séchés
Dans leur boîte,
Sur une chute de planche...
Combien c’est difficile ...

Qui crois-tu que cela intéresse ?
Personne ... Sans doute ...
Et au fond, tant mieux ...
Car on va rire, se moquer ...

Mais tous sentent de même sans doute...
Comme dans la fable : le roi est nu.
Alors ? Il faut peut-être oser
Jeter bas les eupatrides, les technocrates

Les Narcisses ...
Qui empêchent les autres de savoir,
D’oser, de tenter ...
(Et pourtant ... Ce n’est pas simple) ...

Tous aiment, haïssent, sentent
En accord avec tous, avec tout...
Cosmos ? Peut-être pas ...
(O Platon, qui chasse l’artiste
de la République)

Ou en désaccord, ce qui revient au même...


Tous devraient écrire, peindre, modeler
Donner ... Se donner ...
Non ... Ce n’est pas vrai ...
Ce n’est peut-être qu’un masque...


La peur d’être différent
Qui me fonde à dire tous veulent
Peuvent et doivent ...
Tout ce que je fais, ce n’est rien ...

Mais alors rien du tout ... Rien de rien ...
Ne regardez surtout pas ...
Complexe de la souris ...
Qui veut et ne veut pas devenir un Paon ...


Peur, à part égale
De la laudation et des brocards ...
Glissons derrière le mur
Cachons-nous. On me fichera la paix ...

Mais vivre, c’est être en lumière ...
Je veux partir et rester aussi
Je ne puis être ici et ne puis être ailleurs
Je brouille les messages, les dessins...


Devant une toile, il n’y a pas de possible :
On voit forcément et on est vu,
Même si l’on ne le veut pas ...

Alors, il faut rayer, cacher ...
Retrouvez-vous si vous pouvez
Sinon, c’est tant mieux ...
J’ai dit et je n’ai pas dit ...

Seuls voient ce que cela touche ...
Un ou deux : cela suffit ...
Peindre, une nuit pleine ... Joie ...

Et laisser le tableau dehors,
A la pluie bienfaisante à la terre
Qui soudain déluge ...

Pour voir ce qu’elle en fera ...
Donner le tableau à l’orage et à la lune ...
Ce ne sera pas moi qui aurais commis
Le sacrilège, l’image...


Mais l’eau et le ciel seuls
Moi, je vais dormir, confiante, tranquille...
Demain, on verra bien ...

La pluie a tout délayé ou presque ...
Quelques points de ça de là
Eclaboussures bleues et noires ....

Coulant sur une chair rose de femme ...
Ses seins, fermes avant, ont coulé aussi...
Comme dans la vie ... C’est mieux ainsi ...
Elle y est tout de même encore ...

Peut-être pourra-t-on tout la voir,
La deviner ? C’est ce qu’il faut ...
Le hasard et les éléments ont choisi ...
Ils feront toujours mieux que quiconque ...

Ecrire et laisser un manuscrit
Sur le toit de la voiture...
Un jour de grand vent ...
Miracle : le texte s’est calé contre la galerie

Et, intact, a accompli les cent Kilomètres,
Vers l’éditeur, vers les autres ...
Mais où est-il ? Je l’avais à la main, j’ai démarré
Regardez : il est la - haut, seul, tranquille et calme

Il attend qu’on le délivre ...
Né d’un improbable hasard

D’une ordalie involontaire
D’un désir et non désir à la fois ...
Il devait naître:
Le jugement de Dieu ...
Catharsis ... HBL

………………………………………………………………………………………

Ode à un infant déchu

Terrible image,
Que nous offrons parfois ...
Qui saura le mirage,
L'amour d'autrefois,

Ta fuite : pourquoi ?
Tant d'années après, pourquoi ?
Ton retour, trop tard,
Hélas, toujours trop tard ...

Qui saura les ordalies ?
Qui saura le désespoir ?
Qui saura la trouble didascalie,
La lente érosion, le soleil noir,

Caché sous le silence ?
Un jour tu verras ...
Plus tard, patience,

Mais sous les pas,
Il n'y a pas de plage...
Qui saura cette impuissance

Cette vie, ce mirage,
Ce mur du silence,
Que je ne comprends pas ?

Vouloir et ne pas vouloir,
Etre et n'être pas ...
Joie et désespoir ...
Qui saura ? Personne...

Sauf la nature, la mort,
Ou Dieu. Sonne, sonne
L'heure : bientôt le port,
Enfin. Le temps s'en va ?

Non, mais nos enfants.
Et nous allons aussi, las,
Tristes, impuissants,
Tu sais dire je t'aime, à jamais ...

Moi pas, ni pleurer :
L'amour est une arme de larmes,
Qui peuvent déchirer...
Tu as peur de moi, de la vie...

D'être heureux, et que nous le soyions,
Tu sais dire, mon amour, oui,
Mais pas faire : ou au brouillon.
Jamais tu ne recopies,
Ou tu recopies autre chose...

Tourne la girouette, morose,
En vain toute ma vie,
En vain toute ma prose,

Jamais tu ne réponds.
Jamais, peut-être, tu ne me lis ...

Un mot seulement ? Non.
Télé, livres et travail ...
Un si douillet garage...

Lumière du soupirail,
Et mon propre mirage,
Un tunnel glacé, une aire,
Tu sais dire et non faire,

Je sais faire et non dire,
Qu'est ce qui est pire ?
Puis tu ne sais même plus dire,
Et moi, je refuse l'agir ...

Etrange échange de tares,
Où celui qui donne accroît la sienne.
Surinfection. Trop tard :

Le virus s'est incrusté. Vienne
L'éternelle, la mort,
Dit la chanson ...
Et viennent les saisons,

Après l'hiver, l'hiver encore,
Paroles d'amour, pourtant ...
Parole d'amant, de Tristan.

Pourquoi faut-il, mon amour d'été,
Que nous soyions notre tourment ?
Dans ce monde agité,
Contre nous, cruellement ?

Patrons, mauvaise foi : fuir, haïr ...
Et c'est nous qui nous déchirons,
Quand nous devrions nous soutenir,
Quand peut-être nous nous aimons ...

Peut-on oublier ?
Peut-on pardonner ?
Pourquoi ?

Cette douleur,
De bateau ivre,
M'écrase. J'ai peur,
Si peur, de vivre.
De toi ...
Hélène 

.........................................................................................




Un amour de banlieue...
La princesse de Clèves à Créteil


D'abord il y a la grisaille : c'est la première chose que l'on perçoit lorsqu'on arrive. Une lumière glauque, froide et triste. Souvent , la bruine : pas ces pluies franches du Midi, qui passent après avoir raviné la terre, mais une humidité constante qui semble venir à la fois du ciel et du sol, qui s'insinue partout et ne se dissipe jamais complètement. On se sent dans la Caverne, et on y voit s'agiter les fourmis que nous sommes. La saleté aussi, souvent : ces troquets de banlieue bruyants, mal éclairés, parfois sordides, au sol encore recouvert, le long du comptoir, de sciure. On se dit qu'on n'y arrivera pas, qu'il faut partir vite, avant de s'habituer.

Et puis on s'habitue. On se prend dans le rouage, tout s'ordonne, tout EST ordonné, parfaitement, déjà, avec les Emplois du Temps, où l'on coche machinalement les "moments de liberté". Je pourrai faire les courses le samedi, en revenant ... partir parfois le mercredi et le jeudi ... Le Grand Ordonnateur est en marche .

On se réveille en principe à la fin de l'année, au mois de Juin, après le Bac, lorsque le soleil parfois perce la couche de brouillard et que la vie semble recommencer à nous tendre les bras. On se demande alors ce qui demeure de l'année passée, ce qui demeure de nous même , ce qui vaut d'être retracé, de rester en mémoire. En général, rien : on se dit "que l'on n'a pas vu le temps passer". Quelque chose de nous cependant a été absorbé qui nous rapetisse à chaque fois davantage.
Cette année, je sais ce qui est resté. Patrice.

Deux vilains
petits canards

Nous étions comme deux vilains petits canards qui se sont retrouvés ensemble cygnes sans s'en rendre compte, petit à petit : le rejet du discours "philosophique" (ou seulement de la réflexion critique sommaire) nous a sans doute inconsciemment jetés l'un vers l'autre ... Joie infinie de ne plus être seuls.

Patrice . Un des rares êtres à m'apporter, à écouter, et qui m'écoutait . Un bain de repos, une renaissance ... Les mots allaient plus vite avec lui qu'avec tout autre, même lorsque nous n'étions pas d'accord -et nous ne l'étions souvent pas! - Tout débat faisait avancer les choses ouvrait sur un inattendu. Peut être en était il de même pour lui ? "Tu as raison" me disait il parfois gravement, après les trois secondes de silence un peu accablé qui suivaient une de mes boutades moqueuses habituelles ...

"L'éloge d'Hélène" de Gorgias ... qu'il m'a cité ... ( Bigre , ce jour là , il avait du prendre du shit…)
Patrice : — Hélène victime du logos ...
Moi (rire) : — La philosophie, un outil érotique ? Admettons, ce n'est pas si idiot, mais ...victime surtout, à mon sens, de ce que Ménélas ne devait pas savoir la baiser : un mauvais amant, comme tous les hommes de pouvoir. Sinon tu crois qu'elle se serait tirée pour leur donner prétexte à une telle merde? Parmi les nombreuses qualités de Pâris, l'appétence pour la philosophie ne semble pas, et de loin, l'essentielle."
Fou rire, après son air habituel accablé :
Patrice : — Tu as raison ... Sans doute ...(Rigolant) Tu lis Xénophon plus que Gorgias..
Moi : — Pas besoin de lire Xénophon. J'existe, j'ai un corps, comme dirait l'autre Patrice : — Eh bien justement, je maintiens que la philosophie peut ... Enfin peut ... si l'on veut ...
Moi : — En tenir lieu ? Constituer un outil érotique ? Un succédané ? ô Nietzsche!!
Patrice : — Philosopher et aimer ne sont peut être pas des choses aussi différentes que l'on croit .. C'est toi qui le dis d'ailleurs ...
Moi (pour lui faire plaisir) : — Oui et non, cela dépend de ce que l'on fait de la philosophie : outil signifie tout de même qu'elle vise autre chose qu'elle même : le bonheur. Ou c'est percher sur des hauteurs que je n'atteins pas. Tu le sais bien, voyons : les femmes ne sont pas capables de sublimer...

Il avait tout de suite compris : avec un mot . Moi aussi . Tendresse ? Oui, immense, selon un système très codé, certes, mais non moins efficace que le " je t'aime" que nous n'avons jamais su dire. Même dans une discussion collective, je sentais l'adresse de ses propos à moi seule : son regard, bref, vers moi, toujours ...
" On aurait pu passer un fil entre vos yeux " disait une collègue, parodiant Vercors.

Et puis ... rien. Tant pis ? Tant mieux ? C'aurait été trop dur pour lui ? Admettons. Il m'a tout de même touchée, une fois, en commission d'harmonisation. (Harmonisation !!! Sans rire !!) Exprès ? Comment savoir ? Surement. Je n'ai pas bougé : figée. Allait il aller plus loin ? Les autres collègues constituaient à la fois un obstacle et une plus grande liberté. Aucun souvenir de la dissert que nous lisions. Ai-je même voté ? Et lui ? lisait il ?

Et ce texte de Kant qu'il m'avait apporté un jour au lycée et que nous avions lu ensemble, lui penché sur moi, qui étais assise ... dont je me suis aperçue au bout d'un moment qu'il le commentait bizarrement: en fait, il me tendait un texte et parlait d'un autre. J'avais envie de rire devant le grotesque de la situation : deux adolescents attardés n'osant s'avouer leur attirance réciproque cependant évidente pour tous, y compris pour les élèves, et se donnant des prétextes imbéciles pour s'approcher physiquement ... Et nous sommes profs de philo ! Qu'enseignons nous à nos élèves ? La liberté ?

Je n'ai le souvenir dans cette "Commission", à cet instant là, que de son bras diaphane contre le mien, et de m'être dite que j'étais très bronzée..(!)
Et enfin le dernier jour, dans la voiture, quand je l'ai ramené à Nation, après ce déjeuner chez moi. "Je suis maboul .." m'avait il dit auparavant. Il lisait un texte, le mien, que je lui avais tendu, celui que j'avais passé la nuit à lui écrire. Il était visiblement bouleversé. Ce texte, je le connais presque par coeur : je "lisais" mentalement avec lui :

"Je ne sais pas en fait comment c'est arrivé : surement, une évolution que je n'ai pas aperçue au départ, lente, progressive. De la joie de bavarder, du plaisir de se libérer du carcan des élèves à l'accroissement de celle ci, à une joie plus importante, particulière, jusqu'au moment où si tu n'étais pas là, les autres copains me sont apparus d'un intérêt bien moindre ... le glissement fut insidieux et le chemin ne peut être retracé précisément. Je peux en revanche dire le moment où cela m'est apparu en pleine lumière sans que je ne puisse l'occulter. C'était au troquet . La première fois que tu m'as proposé d'y aller, j'ai accepté avec la seule idée de nous sortir du bahut une ou deux heures.

Cela n'est pas arrivé parce que nous y étions seuls: j'ai eu très souvent des rapports duels analogues avec des copains, parfois même, dans le cadre de l'action militante, autrefois, bien plus intenses, sans qu'il ne soit question d'autre chose que de camaraderie, comme "entre mecs", et j'ai infiniment aimé cela : on ne me fait pas de cadeau parce que je suis femme et c'est bien ainsi .

Ces rapports très particuliers, à la fois intenses, parfois même chargés d'abnégation réciproque, n'étaient en principe pas chargés de désir quoiqu'ils y ressemblaient beaucoup de part les manifestations objectives parfois : prioriser l'autre sur soi, courir volontairement un risque à sa place ... etc

C'est advenu au troquet donc , lorsque tu m'as, POUR LA PREMIERE FOIS, parlé un peu de toi. A propos de la mort ? Tu te souviens ? Tu étais penché, appuyé sur le coude, au soleil, un peu désarmé, triste, comme gêné de parler de ce que tu qualifiais de sordide, ( famille, je vous hais ?)

J'ai alors éprouvé un choc, une émotion assez violente, quelque chose s'est noué en moi qui n'existait pas, du moins consciemment, une minute avant, à la fois douloureux et agréable, imprévu, particulier, que je peux ressentir parfois avec d'autres, des élèves, par exemple la petite Asiatique qui était venue dans la salle des profs me chercher après la scène de ce parent d'élève ... et j'ai eu seulement (seulement, oui !) eu envie de te prendre dans mes bras comme pour t'ôter une peine et t'insuffler une force, ma joie présente de vivre, te toucher et te faire rire sans alors, du moins consciemment, de connotation réellement sexuelle. Voilà pourquoi je parlais de rapports frère-soeur un peu particuliers et pour moi extraordinaires.

Ca va te faire sourire, mais cette émotion ressemblait tout à fait, en beaucoup moins forte toutefois, à celle que j'ai éprouvée lorsque ma fille est née, juste au moment où je l'ai VUE enfin, contemplée devrais je dire, et sentie sur mon ventre : une sorte de modification, un bouleversement physique de tout mon être, qui perdure encore parfois lorsque je la vois, et elle a 23 ans !

Une allégresse immense qui défiait définitivement la mort. Quelque chose était là qui n'était pas auparavant, que j'avais deviné, voulu, désiré, et en ce qui la concerne, forgé, et soudain c'était effectivement là : pas une idée, pas une vue de l'esprit, ou plutôt si, une idée au départ mienne faite soudain être réel. Pour une fois ! Une gigantesque euphorie. Je ne vois pas d'autre comparaison à ce sentiment immédiat que j'ai éprouvé envers toi à ce moment là. Il n'est donc a priori pas sexuel puisque je le compare à celui que j'ai éprouvé envers Maï-linh. Il est physique cependant. Ou alors c'est simplement la joie qui est analogue ?

Voilà, c'est à se moment que c'est arrivé. Je ne savais pas l'instant d'avant que tu me toucherais à ce point là. Certes, toute peine touche, mais pas ainsi. Je n'ai pas théorisé ensuite, prise par la joie. Puis il a bien fallu, lorsque je sentais que cela allait finir définitivement.

Jusqu'alors, à la différence de ce qui se passe avec les autres, tu ne parlais jamais de toi ou par bribes qu'il me fallait ensuite recoudre. Une sorte de réserve très particulière, comparable à celle de R., surprenante quand même associée à ma propre "nature" qui me fait aller vers les gens spontanément, y compris les plus glacés, les plus coincés, l'inconvénient pour moi étant qu'ensuite, il m'arrive d'être dépassée, bouffée par la charge affective que j'ai induite. J'ai des relations passionnelles avec les gens mais, depuis pas mal de temps, jamais de désir et je n'étais pas mécontente d'être débarrassée de ce souci. Des relations plutôt de prof à élève ou de mère à enfant. Autrefois, cela déviait. Depuis des années, plus du tout.

En fait, cette proximité que je ressens envers les gens, très souvent, et que je leur communique parfois, cache paradoxalement un verrouillage subtil ( sur le plan sexuel) très efficace. Les mecs en principe ne désirent pas les femmes avec lesquelles ils ont un rapport de communication égalitaire et libre. Chez moi, la liberté de propos verrouille aussi. J'ai un rapport de proximité envers les gens, mais aussi incontestablement de distance en raison même de cette liberté. Or là, ça n'a pas marché. Pourquoi ? Parce que c'était toi, comme dirait l'autre qui d'ailleurs ne parlait que d'amitié, mais intense.

Cette réserve qui est tienne, je l'acceptais car elle me semblait inhérente à ton être . Elle me gênait certes un peu, mais j'étais habituée : il semble que j'attire les gens qui sont ainsi à l'opposé de moi ou qu'ils m'attirent. Je me disais confusément que cela passerait mais je n'y attachais pas de réelle importance. Cette distance que tu établis envers tous, associée à la chaleur humaine qui cependant irradie de toi et qui passe me semble-t-il toujours par l'intellection, cachait peut être une grande vulnérabilité ?

Tu fonctionnes exactement à l'opposé de moi et identiquement à la fois, sur ce plan. Chez moi, en principe, liberté égale distance, et chez toi, réserve égale proximité. C'est étrange, et c'est peut être ce qui fait que tu attires les gens. Or là , et c'est presque la seule fois, la réserve a un peu fondu. J'ai eu l'impression d'avoir atteint quelque chose, de te voir réellement non plus à travers le personnage du prof de philo, du collègue que tu es aussi. Je ne crois pas, quoique ce soit bien dans ma fantasmagorie : la délivrance, la vision d'un être, la naissance, les avoir consciemment recherchées. Mais enfin c'était là. Je l'ai cru pour toi aussi car je ne te voyais pas parler ainsi à d'autres.

Mais qu'est ce qui était là ? Je vais essayer d'analyser.
Nous avons eu des rapports inversés homme-femme mais cela me convenait. Equilibrés cependant car si tu m'impulsais le désir à nouveau de la philo en tant que telle et non en tant que moyen, et si je craignais, parfois, moi, de ne pas t'apporter suffisamment en échange, là, il m'a semblé que ce n'était pas le cas. Je t'avais bien apporté quelque chose. J'avais dénoué quelque chose ?

Ce qui m'a touchée, c'est ce mixte de proximité et de distance, l'impression que nous étions intellectuellement en phase et le point d'interrogation que tu représentais tout de même, la distance à franchir, ce que je voyais être ta douceur, lenteur, moi qui suis toujours speedée, une certaine droiture, limpidité aussi, enfermé que tu sembles être dans une tour, le fait par exemple que tu puisses monter dans une autre voiture sans t'en rendre compte, et ce n'étaient pas du tout la même, que tu ne parviennes jamais à refermer correctement ta portière, que la seule fois où tu étais sur d'y être parvenu, tu avais laissé la vitre ouverte, que tu n'entendes pas les rouspétances contre moi des taxi lorsque tu mettais du temps à sortir parce que tu avais quelque chose en tête sur Spinoza, que tu m'aies faite poireauter un jour où j'étais particulièrement speedée parce que tu mettais un temps fou à remplir je ne sais quel formulaire ...


Devant tout autre, j'aurais protesté vigoureusement. Un coté ailleurs, lunaire. Comme j'ai peut être, si j'en juge par mon nom, et les allusions de collègues, un coté solaire. (Le soleil et la lune ..!)

Cette émotion, je l'ai ressentie ensuite lorsque, le jour de la scène avec ce parent d'élève, je n'ai pu manger et que la serveuse s'inquiétant, tu lui as répondu à ma place que cela n'avait rien à voir avec la qualité de son repas. C'est une des rares fois où tu as eu une attitude classique de mec envers moi, cela m'a fait sourire. Non, une autre fois où tu as commandé un certain vin sans me demander mon avis. Enfin , tout ça ...


Je suis passée en pente douce de l'amitié "privilégiée" comme tu dis ...à, à quoi ? A un moment, il y eut comme une cassure: c'est la nécessité qui apparaît d'un être qui n'existait pas auparavant, le désir un peu hypnotisé de le voir devant soi, et de le connaître sans se lasser, le plaisir de le découvrir surtout s'il est masqué, ou tout simplement de savoir qu'il existe et que l'on n' est plus seul. J'avais l'impression qu'on pouvait se parler un temps infini sans se lasser mutuellement. En ce qui me concerne, c'est vrai. Peut être pas pour toi.

Peut être que la différence n'est pas si immense entre amour et amitié? La nécessité d'un être, c'est aussi l'amitié. La joie de le voir, de le découvrir, de même. Parler ensemble sans se lasser, c'est exactement ce que je ressens avec mon amie d'enfance. Apprendre d'elle comme elle apprend de moi, la curiosité inépuisable de la voir vivre.. La joie de la savoir exister. La passion qu'elle m'a communiqué pour les plantes, la nature et les animaux ... La communication immédiate et complice, le rire, c'est même plus fort envers elle qu'envers toi car je suis plus libre envers elle. Est ce que je la désire ?

Non, et cependant j'aime la voir chez moi dans la piscine, le soir, l'été, quand la chaleur nous écrase, que les cigales se sont enfin tues, je la trouve belle et elle m'a touchée au téléphone en me disant qu'elle me trouvait belle aussi. Il m'est de même arrivé, après la mort de son compagnon de la prendre dans mes bras exactement comme j'ai eu envie de le faire avec toi. La différence est-elle de degré et non de nature ? Mais le degré ne fonde-t-il pas la nature?

L'écueil, c'est évidemment le désir physique. Vient un moment où le désir de connaître un être en passe par là, aussi... Mais ce n'est peut être pas si important. Je me demande si je ne l'ai pas aussi éprouvé dans le cadre de l'amitié. Finalement, amitié privilégiée me convient car cela élimine définitivement le souci. Le désir égale le souci.

Il y a eu aussi évidemment d'autres causes. Le hasard, si l'on veut, puis la nécessité : j'étais cette année dans un état bizarre, de moindre résistance. J'ai glissé, et tant mieux puisque cela m'a permis de prendre conscience que j'existais aussi sur le plan des affects, ce dont je doutais fortement et depuis très longtemps depuis la lente désagrégation de mes relations avec Robert, désagrégation qui, au moment même où je commençais sans le savoir sans doute à aborder la pente avec toi, a cessé . C'est à dire au moment de la mort de sa mère. J'ai re éprouvé à ce moment là, devant sa détresse, la même tendresse que j'avais auparavant et c'est alors que j'ai interrompu la procédure de divorce que j'avais entamée.

Ca, je ne te l'avais pas dit, tu vois ! Je sentais inconsciemment que cela ne te concernait pas, ou plutôt que cela te concernait trop, indirectement, puisque c'est de cette libération qu'a pu naître dans mon imaginaire l'IDEE même qu'un autre existe pour moi. Comme ami peut-être, ami privilégié si tu veux, ou objet de désir aussi. Le verrouillage avait cessé.

Ca s'est passé alors que j'étais à Saint-Ambroix, il m'a appelée : je fus la première personne qu'il a cherché à joindre, avant même ses soeurs et m'a annoncé d'une voix inaudible que sa mère était morte ... Le cadre supérieur coincé, autoritaire, cassant qu'il était devenu brutalement, incapable de se concentrer sur autre chose que les télécom et sa carrière, parfois facilement méprisant, ayant hélas, à force, intériorisé les critères télécom de "réussite sociale " avait cédé la place enfin . Après son coup de fil, j'ai craqué et sept heures après, j'étais là : même désir en fait qu'envers toi, avec en ce qui le concerne une connotation sexuelle plus évidente. Une manière de le consoler ? Pas seulement : il venait de perdre une mère, il ne se pouvait pas qu'il perde l'autre.

J'aurais pu le réconforter, l'aimer à nouveau s'il n'y avait eu ces bondieuseries. Je l'ai alors découvert Juif me rejetant profondément comme goy. Finalement, nous sommes repartis. J'aurais ri -en fait, sans doute souri - pendant le kadish parce qu'il ne parvenait pas à faire tenir son tefellim et que celui ci retombait chaque fois, en pleine ferveur religieuse. Fred, lui, ayant perdu sa kippa, nous étions à la porte du cénacle tous deux, moi cherchant dans l'assemblée qui pouvait lui en prêter une. J'avais oublié dans mon désir de bien faire que j'étais femme et ne devais pas me tenir, même discrètement, là, à la porte. Un vieil imbécile m'a intimé l'ordre de m'en aller d'un geste grossier, le même qu'on a envers un chien qui dérange. Fredéri, révolté est ainsi, en une minute, devenu définitivement anti clérical, lui qui, devant l'antisémitisme latent de certains, revendiquait parfois d'être à demi Juif, et nous sommes repartis.

Dès notre arrivée à Saint-Ambroix, écrasé de solitude et d'angoisse, trop Juif traditionnel pour moi , trop athée gauchiste pour les siens, il m'a appelée, j'ai cédé. En arrivant, je me suis entendue dire que, étant "sa" femme, je devais impérativement être à ses cotés à la synagogue, à ses cotés, si l’on peut dire ! Pas question, derrière une grille, entassées comme des vaches à l'étable. Et je suis repartie ... 25 ans de débats identiques, épuisants ... C'était "sa" culture ... Oui mais on ne saurait tout justifier par la culture... etc ...

C'est dans ce contexte là que j'ai glissé envers toi de l'amitié à la nécessité. Le désir ? Peut être plus et moins que cela. Chaque émotion est particulière, et nous sommes contraints de lui donner un nom convenu. Comment le qualifier ? La nécessité plutôt qui m'apparut de ta présence. Peut être d'ailleurs n'est ce pas très sain et t'ai je un peu exploité ? Car tu avais/as sur moi un extraordinaire pouvoir calmant que, je crois, tu es seul à avoir. Etant, semble-t-il, "ailleurs", sur un autre monde, celui de la philo en tant que telle, ta présence seule semble définitivement chasser certaines turpitudes de l'existence qui est la mienne. Désolée si je parle de toi comme d'un médicament. Comme si effectivement tu avais été quelqu'un que j'attendais (ou plus exactement un "moi" mieux réussi, sans les accrocs de l'existence qui abîment) et dont la présence me suffisait. En ce qui te concerne, le désir est venu ensuite, comme un épiphénomène. Une amitié particulière dirons nous.

Des choses se sont donc dénouées en même temps envers R. et envers toi, même si c'est plus ou moins sur du vide : j'existe aussi sur le plan des affects. Tu m'as tout de même infiniment aidée. Demeure la joie infinie d'être. Sauf un peu d'énervement et d'anorexie, mais ça c'était prévu et c'est en train de passer. Et ce n'est pas désagréable. Euphorisant ...."

Il s'est approché de moi. J'avais roulé lentement, mais nous étions tout de même arrivés : aucun embouteillages pour une fois ! La voiture était arrêtée là où il me l'avait demandé, devant une librairie où il comptait se rendre. Par chance, il y avait une place pour me garer. (Nous étions en Juillet .)

"Ma timidité pathologique" a-t-il dit à un moment... Il s'était encore rapproché , curieusement penché vers moi, tout en restant adossé à son siège. Un peu "tordu" en somme. Il attendait sans doute un geste de ma part : ce geste n'est pas venu. Je me suis au contraire rencognée à gauche, le dos carrément appuyé à la portière, lui faisant face, mais le plus loin possible de lui, qui à ce moment était le plus près possible de moi. (Maudite voiture, immense !!) J'étais littéralement aplatie contre la portière, le regardant toujours.
Je n'ai pas bougé . J'ai l'impression que je ne respirais même plus.

Pourquoi ? Sans doute me disais-je que je ne pouvais pas tout faire moi même. Lui écrire? Soit, puisque je n'avais pu parler. L'appeler ? Soit puisque j'avais obtenu en avance les résultats de ses élèves. Le revoir ? C'est lui qui l'avait décidé, mais avec quelle joie j'avais accepté. Chez moi , en plus. Mais le toucher ?

Non ! Devant l'imminence d'un geste, cela devenait insoutenable, insurmontable, presque tragique. Peut être me disais-je que si je bougeais, si je me déplaçais un tant soit peu, si je le prenais dans mes bras, quelque chose allait se passer d'irrémédiable, qui nous aurait dépassés ? Un vague instinct de protection vis à vis de lui ? Il semblait un animal fragile, demi sauvage, que, même apprivoisé, on n'ose sortir de sa pâture... le monde des idées, de la philosophie pure. (Et Robert aussi, avec lequel j'avais, à la mort de sa mère, repris des relations ?? !!!)
Je ne sais pas : j'étais figée .
J'attendais . Il attendait . Le soleil ... La lune... Et voilà. Rien.

Il est parti, ivre d'une tristesse infinie. (Ou soulagé ?) Il a pour une fois su refermer la portière, en la claquant vigoureusement, ce qui n'était pas son habitude. Je n'ai pas hurlé, ce que j'avais envie de faire : reste!! Je l'ai regardé marcher, haute silhouette élégante, vers la librairie où il allait se réfugier. Il a traversé la place et ne s'est pas retourné. Ou, s'il l'a fait , j'avais déjà tourné la tête pour amorcer la marche arrière, et embrayé. J'ai été happée par le flot, mince en ce mois de Juillet, des voitures .

C'était fini : je ne l'ai plus revu. Je ne le reverrai sans doute jamais. Sans doute est ce mieux ainsi? Mais tout de même... J'aurais du lui courir après, l'appeler. Il n'attendait peut être que cela. Enfin je crois: mais comment être sûre? Putain de dignité, de blocage. Ai-je eu peur de ne pas lui plaire (physiquement) ? Je ne le sais même pas moi même : et cependant, il m'a attendu toute l'année à la cafeteria du bahut... alors qu'en fait, loin de l'avancer, je le retardais d'une heure (je ne l'ai compris qu'après coup) puisque le métro Cité où je le déposais l'obligeait à prendre le RER et à changer.... Alors ? O Pâris, décidément, la guerre de Troie n'aura pas lieu.

Et pour finir, en Grec classique, l'éloge du Soleil avant la mort ? J'ai peur. Le Soleil a cessé de luire, la lumière ne venait, en dépit des apparences, que de son regard à lui vers elle et non de l'objet brillant lui-même, du Soleil. O Husserl ...." Je ne prends conscience de la lumière que par l'objet qu'elle reflète : sans objet à refléter, sans objet qui la voit, pas de lumière." La lumère que j'irradiais venait de toi.

Et je n'ai même pas redemandé le poste à temps, je ne vaux pas mieux que lui quant au blocage. Je suis même pire puisque le mien est dans les gestes concrets, simples : cocher dans une case le nom du bahut. Patrice au contraire, avec l'innocence qui le caractérise et qui l'empêche de voir lui même ce que ses gestes signifient - mais les autres, eux, le voient ! - Patrice donc, avec cette grande liberté de gestes paradoxalement liée à une absolue inhibition, Patrice, lui, au moins, m'a attendue tout l'année...

Patrice, au moins, se précipitait, lui si lent d'habitude, vers moi dès que j'arrivais dans la salle des profs au point d'avoir une fois bousculé avec son cartable une collègue sans même s'en être rendu compte, tout à la joie enfantine de me revoir... (J'ai alors lu dans les regards posés sur lui toute l'ironie du monde ...)

Patrice, lorsqu'il me parlait, penché vers moi, à la cafet (devant le protal ironique qui, loin derrière, sortait parfois la tête de son bureau tel un diable de sa boîte comme pour voir où en étaient les choses) m'enveloppait littéralement et joyeusement de son corps immense comme pour me séparer du reste du monde... Un jour, je vis distinctement (il a tout fait pour que je le voie car, si Patrice lui tournait le dos, moi, en revanche, lui faisais face) cet absurde petit bonhomme macho de Protal que nous comparions à De Funès faire un geste avec les bras significatif, comme pour battre la mesure, en marmonnant faiblement, comme agacé :
— Allons, allons, du cran, Monsieur D., vous y êtes presque..." Fou rire irrépressible. Patrice n'a pas compris : il a cru que je me moquais de ses propos.

Moi, je le "prenais" simplement lorsque je le voyais, dans le hall, en quittant le lycée, le soir. Il a fallu le dernier trimestre pour que je l'attende moi aussi, et encore (au début) seulement parce que je croyais lui éviter un long trajet en RER. Rien ne m'attache plus désormais à lui, sauf l'amour (vain) que je lui porte, dont j'ignore l'exacte réciprocité. Sauf ce qui demeure, le souvenir.

"Tu veux être admirable" ! J'ai en effet voulu (enfin, voulu !!?) l'être, et j'ai laissé partir le seul homme avec lequel je me sentais en parfaite communion intellectuelle, ce qui n'arrive dans une existence peut-être qu'une fois... Ce qui ne m'était jamais arrivé, du moins à ce point et de cette manière. Il a fait de même : nous sommes "admirables", nous avons tous deux gagné le Paradis auquel nous ne croyons ni l'un ni l'autre. Héroïsme ou lâcheté ? Les deux sans doute.

Reste le devoir. Résister, lutter, vivre. Peu de choses en fait : mais ça maintient. Les ennuis, s'ils écrasent, tiennent en vie tout de même aussi.
....................................................................................................................

Un peu de détente aussi
Elégie inconvenante
A un ami très convenable

La populace dites-vous ?
Mais la populace, c’est moi, c’est vous… et même Nicole,
Enfin, j’espère… La populace, ce sont ces soirées à l’école,
Le soir sous mes fenêtres, à Clé, la mine pour horizon...


Et les photos d’Ethel et de Julius enlacés, dans le fourgon,
Et les mineurs espagnols, entre Bakounine et Proudhon,
Et au ciné club le mardi, «Le sel de la terre»,
Silence et recueillement. La messe, la liturgie...


Dans la sombre salle des fêtes de Molières,
La lumière, l’étincelle ou l’iskra, la magie.
Et puis les femmes… les rires effrénés, les rêves,
Enfin on parlait d’elles et on osait…oui on osait !
Dire qu’elles aussi pouvaient mener une grève,
Pendant que leurs hommes dehors, lessivaient…
Essoraient, étendaient les draps durs et roides,
Puis, enfumant la masure de bois mouillé...


Devant la cuisinière éteinte et froide,
Lavaient la vaisselle et chauffaient les biberons…
Ou essayaient. Et courraient, et trébuchaient,
Et se brûlaient au chaudron...


Et le bébé qui hurlait…
Sous les ricanements des fils adolescents
Qui faisaient la différence entre papa et maman.
Oui, les rires de la populace…
A chaque fois, les mêmes rires vivaces.
De ceux qui pour nous sont montés
Sur les barricades, sous le feu,
Qui ont obtenu les congés payés...


La sécu et la retraite : si peu ?
Comme moi, vous en vivez.
Et même les concours. La valeur du mérite
Et non de la caste. La valeur écrite...


Déclarée. L’égalité pour les proscrits
Protestants et juifs et puis, et puis...
O, ils devaient être sales et même sentir mauvais
Parler mal aussi. Et pourtant, votre douce vie...


Là haut, sur la montagne, c’est à eux que vous la devez,
Aussi.
Nos ancêtres. Le droit d’écrire et de vivre,
Librement. Ma madeleine en somme.
Celle de tous les hommes.
Le droit de critiquer, d’aimer et de rire,
Aussi.

On m’a formatée.
Je suis un tank —actuellement en disponibilité—
Un tank romanesque. Un tank amoureux, un tank linké,
De la populace ou de ceux qui la servent plutôt…
—Car moi je suis inapte.— Il faut ce qu’il faut.

Un ingénieur agronome qui voulait inventer un mouton
Dessine moi un mouton, en somme… Un bien drôle.
Il est plus tard que tu ne penses, je sais.

Un médecin qui voulait être un Schweitzer anti rougeole.
Le Kurdistan libre d’un Kurde rescapé
Un peu seigneur de la guerre,
Oui, coco, il ne faut pas me la faire…

Et un juif pro palestinien, mouton noir courageux...
Qui voulait vaincre les sionistes —et les siens avec eux.—
Car la populace bourgeoise, cela existe, ma foi.
«Je voue à la bourgeoisie une haine
qui ne finira qu’avec moi»

Un peu excessif. Mais… Mais… Mon cher...
On pouvait dire ô Dieu, bien des choses en somme,
en variant le ton.
Par exemple tenez : cynique, à la Rhett Butler :
«Tout ce que je veux, c’est récupérer mes ballots — de coton—
Le reste, je m’en fous. Qu’ils s’entretuent si ça leur plaît…»

Précieux, le petit doigt levé :
«Mais je ne fréquente jamais les pauvres :
A quoi bon me faire vacciner ? »

J’ai prié pour qu’elle attrape le choléra sur place…
Et, merci Jésus, j’ai été exaucée.
—En fait, ce fut une monumentale chiasse,
Je sais, ce n’est pas chic mais la guerre, Michel
… N’est pas belle —

Rétrocédant à la salazopérine, mais avec séquelles :
Un trou du cul bien abîmé, de sanglantes fistules,
Une maladie… de prolétaire, un peu ridicule…
Il y a des filaires qui se croient tout permis !

Je l’avoue, et ne fus pas la seule, j’en ai ri.
Dies irae.
Les estérichiae choli,
Contrairement à vous, Michel, ne font pas le détail...
Entre Achra’fiéh et… valetaille,

Tout trou du cul étant bon à prendre
Comme tout os à ronger…
La guerre égalise. Coccobacille sans frontières…

La populace ? Au fond, Michel, vous m’inspirez.
Dans le genre trivial mais qu’y puis-je ? Je suis vulgaire
Lorsqu’on me parle de vulgarité.

Par contraste et provocation. J’aime choquer, braire…
Avec les ânes, j’en suis, je le veux et cela me plaît.
Mais pourquoi cette passion ? Car vous avez raison,
C’est un peu éthique, volontaire.

Et même… controuvé.
Sans doute est-ce érotique ; il faut bien une explication.
Comme dirait J. T., une glorieuse, parfumée, agitée,
Elégante éléphante, (c’est fâcheux pour ferrer) :

—Naturellement, je n’ai jamais couché avec un ouvrier.
Voyons ! » Dans la conversation, comme on dit :
Je ne prends pas de sucre dans mon thé.
Ils n’ont pas voulu de toi ?» Avec mon air Lydie,

Un sourire innocent sous la flèche cruelle.
Je sais faire aussi. Je copie.
Elle a réattaqué de plus belle:
—Tu peux rire, toi non plus.» Erdal, merci.

(Sinon j’aurais menti.) —Bien sûr que si.
Et toc. Je n’ai évidemment pas fait le ratio.
Et elle se tût, étonnée que, si sage,
J’osasse, même au terme d’un vernissage

Un peu arrosé, tenir de si horribles propos.
Une fêlée, en plus ? Anti corridas, on le savait,
Mais là, tout de même. Vulgaire, presque salace.
Un ou-vri-er ? Il y a des limites. Cela ne se pouvait.

Devant les biscuits. Qui faisait rigoler la populace…
Mais la populace esthète, éthique et classe.
La mienne, je me suis régalée. Cayetana.
La populace, Michel, c’est aussi moi

Car je suis snob, voilà.
Je le dis et le proclame,
La populace m’enchante et m’envoûte
Comme d’autres, les riches. Mon âme

Est ainsi cistronnée. Un gêne ? Sans doute.
La dignité. Des pauvres, des femmes, des juifs, des ratés,
Qui furent jetés comme je l’ai été, pour d’autres raisons.
Oui, ce doit être cela, simplement : la dignité,

Pouvoir parler à tous sans souci de ce qu’ils sont.
Enfin presque. Pouvoir écrire cela et en rire,
Sans en mourir.

Soit, je n’ai pas aimé l’histoire de Maigrat (l’épicier)
De Germinal. Et pourtant cela a dû exister, je sais,
Et celle du vieux mineur qui étrangle Cécile,
Et tout ce qu’il décrit, Chaval, la foule vile…

Bon. Mais ma populace à moi, devant les puits,
La mine, ce n’était pas cela. Ou pas seulement.
J’ai appris les lettres d’Ethel à ses fils.
Sublimes. Ses fils de mon âge, exactement.

Des papiers interdits. La honte envolée.
Des syndicalistes. Des anciens d’Espagne. Dignes et forts.
Je n’ai pas vu de différence des discussions et des corps,

Le soir entre les militants ; ensuite, à l’université.
Ou plutôt si : leur teneur était plus juste et plus vraie.
Ma madeleine…
Ma liturgie. Amen. Et merci. Hélène.

................................................................................

Le pendule, deux

Poème à mon fils et à d’autres,
J’sais pas, ce qu’ils me trouvent…
C’qu’ils me trouvent pas…
Non, je ne sais pas.

Trop ou trop peu, jamais la bonne mesure,
Toujours en faute. Toujours !
Pour le chien, le pauvre vieux chien,
Pour le désordre, le misérable désordre…

Si peu et si tout, tous les cons à front d’airain,
Sûrs d’eux et de leurs tortillages,
Parce que j’ai raté ma carrière, évidemment...
Parce que je l’ai réussie, forcément,

Parce que j’ai raté l’éducation de mes enfants, sûr,
Parce que je l’ai réussie, aussi,
Parce que je ne suis pas juive, si l’on veut...
Parce que je le suis, un peu,

Parce que je ne suis pas noire, toujours,
Parce que je le suis, en un sens,
Parce que…

Et mon fils, il faut que tu saches, pourquoi.
Dans une voiture, autrefois, la peur,
J’avais quinze ans. La peur encore.

Le cœur qui cogne, et puis plus rien.
J’avais tenté tout de même,
En vain, je m’en doutais:
Viens me chercher papa. S’il te plaît.

Tu ne sais pas prendre le car ?
Mais je l’ai raté, sinon…
Encore bien de toi. Rater le car !
Ca ne s’est jamais vu. Même celui du soir !

Justement, il est si tard… j’ai peur.
Encore des histoires.
Mais ce n’était pas ma faute, la prof…
A d’autres, les bobards…

Si je t’assure… J’ai essayé, mais…
Je suis sur la route à présent…
Il fait nuit. J’ai si peur…
Rien. Le clic du téléphone.

Marcher, c’est tout.
Tout ce qu’il y a à faire,
Marcher, vingt kilomètres,
Ce n’est rien. Mais il fait nuit. Marcher.

Saint Martin. Plus que douze kilomètres.
Il va peut-être me rattraper, j’ai peur…
Non, son coup raté, le salaud est allé se vautrer
Sans doute, devant sa télé, avec bobonne,
Qu’il a dû baiser le soir,
(C’est un chat qui m'a griffé)…
En pensant à l’enfant qu’il avait loupée...

Et puis la Panhardt, enfin dans la nuit.
Trapue, lourde, laide et magnifique.
Sauvée. La chaleur. Enfin.
Monte, dépêche-toi. Allons, active.

Pas un mot. Silence. Silence.
Tu sais, il m’est arrivé…
Tais toi, je ne veux pas savoir.
Et puis plus rien. Plus rien.
Le bonheur, comme ils disent,
C’est simple comme un coup de fil…
Le malheur aussi.

On aurait pu me dire :
Ne bouge pas, je viens tout de suite…
Je suis là, attends moi,
Tu ne vas pas prendre la route seule.
Je te l’interdis…
Voyons, j’en ai pour une demi heure…

Ou même : il ne t’est rien arrivé ?
Dis moi seulement.
Le salaud. On va porter plainte,
Le rattraper, lui faire payer…

Tu as relevé le numéro de la voiture ?
C’est dégueulasse. Ne t’en fais pas…
On en parlera, ou on n’en parlera pas
C’est comme tu veux.

On t’aime, tu sais.
C’est de notre faute aussi,
On n’aurait jamais dû te laisser,
Lorsque tu as raté le bus…

On aurait dû venir tout de suite,
Pardonne nous s’il te plaît,
Ta prof, aussi, quelle idiote…
On va lui dire ce qu’elle a fait,

La garce. Elle ne s’est pas rendue compte,
Evidemment : pour elle, tous habitent sur place,
Et les questions de bus, quelle impertinence,
Elle est au dessus de ça…

Une enfant de treize ans a toujours papa
Ou maman
Pour venir la chercher, n’est-ce pas ?
Et ils ont toujours une voiture, bien sûr,
Et le temps nécessaire, et le téléphone,

Et tout ce qu’il faut.
Sinon, ce n’est pas pensable.
Non ? Quelle histoire ! Pas de voiture ?
Pas le temps ? Pas de téléphone ?

Ca n’existe pas, des blagues, encore.
D’élèves qui veulent sécher…
Ca ne prend pas avec moi !

Ils avaient les trois, madame, il est vrai,
Téléphone, voitures, et un peu de temps aussi.
Un quart d’heure, non, une heure.

Un tel crime contre une enfant
Valait-il cette heure perdue ?
Sans doute ont-ils jugé que non.
Oui, madame, ils avaient les trois,
Mais ça n’a rien changé…

Je n’ai dû mon salut qu’à ma rage à me battre,
A mes ongles, au fait qu’il conduisait aussi.
Me battre jusqu’à la mort s’il avait fallu. Seule.
Et on n’en a jamais parlé, jamais.

Tais-toi. Fous moi la paix.
Je ne veux pas savoir,
C’est de ta faute,

Tu n’avais qu’à pas rater le bus…
Ta prof a eu raison, tu devais rester
Pour le cours rattrapé, elle est bien bonne,
Pour qui te prends-tu ?

Le chauffeur du bus avait raison,
Pas question de faire des heures sup,
Le pauvre, tu rigoles ?
Comme ça, impromptu ?

Il bosse bien assez !
Tu te prends pour qui ?
(Le type avait raison ?
Que faire d’une enfant sauf de la violer ?
Ca pouvait marcher, on ne sait jamais…)

Moi aussi j’ai raison ;
Je travaille et j’ai autre chose à faire,
Tais toi. Tu as compris ?

Tu n’as eu que ce que tu as mérité.
Et d’ailleurs ce n’est rien
Puisque je t’interdis d’en parler.

................................................................................................

Le pendule,
A mon fils, etc

Il lui avait fallu justifier,
chaque bouchée de pain avalée,
Chaque salut octroyé, chaque sourire,
chaque inspiration prise,

Tout le temps. « Tu as de la chance d’avoir été désirée,
De vivre, d’avoir des parents, tous n’en ont pas…
et que tu brises
Parce que tu es, un peu trop, un peu pas assez

Un peu trop pas assez, en somme
Parce que tu es, tu es ma foi, tu es, comme
Si cela se pouvait. »
Il lui avait fallu justifier de tout…

« Oui je suis, mais tu sais, ô mon père,
C’est provisoire, très éphémère,
Je m’en irai bientôt, tout au bout...


Ne crois pas que je vais m’incruster… »
Elle voulut l’inverse pour les siens,
Une existence… différente ? Non, opposée,
La vie et la joie, d’emblée, en premier,

Un père aussi, et un vrai, un bien,
Qui les aime et gagne de l’argent,
Un prince, pourquoi pas, un ange,
Oui, ou tout comme,

Qui jamais ne dérange
Ni n’est dérangé… Un homme.
L’inverse !… L’inverse !
Mais ça donnait ses parents,

Mathématiquement ! Comment ne pas l’avoir vu ?
C’était évident.
Ils l’aimèrent sans doute, distraits et lents,
Puis furent malheureux, comme l’autre en rut.

Pourquoi ? D’être trop ou de ne pas être, peut-être,
Tout à fait, de ne pas avoir eu à vaincre, à lutter,
Humiliés d’être des enfants restés, d’être,
Sur un plateau, comme une tarte proposée…

Devant les autres qui eux, avaient rudement combattu ?
Qui sait ? Peut-être n’est-ce qu’un bluff, une pose,
Chacun frime pour épater l’autre, et tous, par osmose,
Plus orphelin que moi tu meurs,

Et dansent et frétillent pour être dans le ton, pour leur salut…
Qui est leur perte. J’ai une puce, ah ! Mon Dieu…
Dans ma culotte. Comment résister ?
A une puce affamée…

Moi aussi je suis orphelin…
Oui, orphelin, sinon rien,
Mais, moi, des deux. Tiens, encore mieux.
Tu n’as plus qu’à t’écraser. Jeu absurde et mortifère,

Ils ont honte de leur mère,
Cette femme aux pieds sales et abîmés…
Qu’elle parte et ne se voie pas… A jamais…
A jamais ? Non, le temps d’une semaine :

Ils sont si beaux, si forts, si blêmes,
Magnifiques crevards aux yeux glauques
Demi clos. Broutille, la musique est belle,
Exit. Les clés ? Tu sais, la femme en loques ?

Aux sales pieds… Et merde, fait chier, bis et re bis !
On oublie… la musique, c’est celle,
De la vraie vie. De la joie qui bruisse,
De l’évasion, du néant qui finissent…

Faim soudain, on y va ? Quoi ? Mais c’est quoi ce tour ?
On attendait un repas, un bon repas au four,
Et elle est là, des cris et des chuchotements,
Des clés ? Non, on est pas au courant,

Pour quoi faire, des clés ? S’en fout. Trois heures du matin ?
Et alors ? C’est un gag ? Où s’q’elle est la caméra ? …
Fait chier, on n’est pas des enfants, à la fin,
Fatigués, crevés, on nous traite pas comme ça.

On veut juste bouffer, et dormir…
Quoi ? Des excuses ? Mais ça va pas bien ?
Ou s’qu’elle est la caméra ? Pour finir,
C’est non, et sans appel, on a rien fait. Point.

On a rien fait, sauf s’amuser et bien rire,
Mais c’est pas un crime, on croit,
On est bien là, au clair, (enfin, au clair...)
On va rester… Les locataires ?…

Eh bien justement, ils passeront pas.
QUOI ? Vous nous insultez ?
Sale petite garce ? Ca va pas se passer comme ça.
Vous ne sortirez pas, un paing

Et ça se réglera fort bien… Essayez…
Ils n’ont pas osé, mis en balance,
Le risque peut-être, on ne sait jamais,
Et le plaisir de nuire.

Mais ce fut presque, le hasard et la mire…
Mais c’est sans importance.
L’inverse de moi, ce sont ceux-là,

Le passé ressuscité dans les enfants,
Les enfants dans le rôle funeste et las,
Le rôle triste et mortel… reliant,
Le passé au futur… et une victime au milieu

Des deux générations miroirs.
Et des êtres sortis d’elle, dans les deux sens,
Dont elle a créé, ô Œdipe, en pochoir,
La pesanteur et le monstrueux.


.....................................................................


A part…
Parce qu’il faut bien le mettre
quelque part….
Anduze, au début...


Traité de savoir-vivre

ou de l’amour..

Comment séduire une femme ou plutôt éviter qu’elle s’enfuie …
Il n’y a évidemment pas de recette, mais des choses à éviter absolument. Voici quelques éléments de base à l’usage des hommes de base, sous forme de treize articles, non exhaustifs…
ARTICLE UN : le «Pressé-qui-va-droit-au-but».
Ne jamais dire à une femme :«j’ai un peu de temps cet après-midi, on pourrait aller passer un moment au plume ensemble, cela nous (ou, pire : vous) ferait du bien, il fait si chaud…» C’est grossier et incorrect. C’est perdu et en plus on se fait méjuger.
ARTICLE DEUX : le Narcisse.
Ne jamais supposer, parce que l’on éprouve du désir pour une femme, que ce doit forcément être réciproque. Et toujours se montrer élégant en cas de refus. Ne jamais dire : «Vous ne savez pas ce que vous avez perdu.»
ARTICLE TROIS : le Chineur.
Ne jamais supposer a priori qu’une femme seule est obligatoirement disponible pour le plume et/ou pour tout homme. Il y a des femmes seules qui l’ont choisi et qui s’en satisfont. Ne jamais dire d’une femme, par exemple: «une telle occasion, on serait bien con de ne pas en profiter..» Séduire, ce n’est pas faire les soldes.
ARTICLE QUATRE : le Caniche.
Ne jamais prendre ses désirs pour des réalités, et les taxer d’allumeuses ensuite… Une femme peut sortir seule, habillée comme elle en a envie, et ne pas désirer d’hommes (ou du moins pas tous). C’est en principe le cas général.
ARTICLE CINQ :
L’alchimie de l’amour et du désir requiert un peu de réflexion, de finesse, et de patience. Il faut être à peu près sûr que le désir est bien réciproque. Les animaux le font instinctivement ; pourquoi les hommes en semblent - ils parfois incapables ? Exception: certains caniches, souvent jeunes. En général, ils apprennent les codes de politesse Caniche à leurs dépens.
ARTICLE SIX : le Désespéré-qui-ne-comprend-pas-.
Ne jamais taxer les femmes de «frigidité». Souvent, lors de relations auxquelles elles consentent par conformisme, gentillesse, ou simplement pour avoir la paix, elles s’ennuient. Si bien qu’elles peuvent observer, parfois à voix haute, qu’«il faudrait repeindre le plafond »… ou qu’ «elle a oublié de faire la déclaration d’impôt».
ARTICLE SEPT : l’Artiste.
Ne jamais user de termes triviaux qui réduisent ce qu’il y a de plus magique dans la vie à un rapport de: mécano à bagnole; de chasseur à gibier; de pêcheur à poisson; de baffreur à boustifaille, même lorsque ceux-ci ne concernent pas la femme à qui l’on s’adresse. Ex : «Je pourrais lui visser trois boulons avec plaisir, (ou lui remplir le réservoir), depuis le temps qu’elle roule sur la réserve», «Lorsqu’une belle caille se pavane, on la tire», «Si un asticot s’agite, il ne faut pas s’étonner que le poisson l’avale», «Il ne faut pas s’endormir sur le rôti»… etc C’est inélégant. Les femmes se sentent alors «objet» et un objet ne saurait éprouver de désir. D’où leur «frigidité».
ARTICLE HUIT : le Serviable.
Ne jamais penser ni dire que l’on «rend service» en se proposant. (Trois boulons à visser, le réservoir à sec). C’est malpoli, maladroit, et cela met de mauvais poil. Eviter résolument les formules comme : «Elle doit être en manque. Sans homme depuis tant de temps, je la plains ! Je vais lui faire passer cela». Cela part d’un bon sentiment, certes, mais..
ARTICLE NEUF : le «Qui-a-réussi».
Ne jamais étaler sa réussite sociale avec trop d’ostentation, par exemple, par une bagnole qui en jette. On n’a pas forcément envie de monter dans un «signe extérieur de richesse». On peut aussi avoir peur d’un platane lors d’un délire de puissance après boire, du glorieux. Ne jamais dire: «je vous invite au… N’ayez crainte, j’ai les moyens»Et encore moins annoncer : «et je ne vous importunerai pas si vous ne voulez pas.» C’est gentil, là aussi, mais ça met mal à l’aise.
ARTICLE DIX :
Se montrer tel que l’on est, vulnérable et ignorant, dépressif, peu sûr de soi ou pauvre si on l’est… Cela émeut plus les femmes que les machos à trompette, -même s’ils sont encore plus fragiles-. Indispensable: être bon, ne pas se montrer (ni être) mesquin, raciste, sexiste, cruel, médisant, se cultiver (un peu) si possible, réfléchir. Eviter résolument les formules comme : «Ici, on est envahis par les Arabes (ou les Turcs, ou les Indiens…)» Cela bloque. Règle générale: la sottise, même gentille, est rédhibitoire.
ARTICLE ONZE : le Fatigué (de l’Esprit mais pas du reste).
Ecouter surtout. Un homme qui s’endort ou qui coupe lorsqu’une femme lui parle (en général, ils attendent d’être mariés ou titularisés) perd ses chances. La «frigidité» est à la clé si l’épouse consent tout de même au cas où, réveillé, il a sauté joyeusement du fauteuil vers le plume, «avant de dormir, ça détend.» La femme se sent alors devenue somnifère, ou anti-dépresseur.
ARTICLE DOUZE : le Joyeux luron.
Eviter absolument de se gratter le nez, de rôter, de péter, de parler de ses hémorroïdes, surtout pendant le café. Etre nature, c’est bien, mais…
ARTICLE TREIZE :
Le mystère du désir surgit, magique, fragile, imprévu parfois. «Rien n’est jamais acquis», comme dit le poète. Mais il ne faut pas le faire s’envoler ; il ne revient pas. «Car le Dieu, ô Phèdre, est dans celui qui aime, et non dans celui qui est aimé…»

ARTCLE DE BASE QUI synthétise TOUS LES AUTRES

Oser enfin dire «je vous aime» (ajouter éventuellement, selon l’inspiration et la sincérité: «vous êtes belle/ intelligente/ courageuse/ drôle/ rare/ généreuse»..) mais ne jamais enchaîner ensuite immédiatement par: «Alors, on y va, au plume?» qui gâche tout. Voir article UN.
Hélène Brahic-Larrivé